France / Société
Quand nos différences s’effacent devant nos choix de vie
« Elle était là, devant nous, belle comme jamais, à la peau blanche, les cheveux souples châtains, aux yeux grands ouverts, brillants à l’idée de prononcer un grand ‘OUI’ pour le meilleur comme pour le pire …Au pas dansant, elle avance, son cœur battant la chamade. Le son de sa voix, si douce et affirmée, ne m’a pas laissé indifférente…cette jeune fille au courage sans précédent, puisqu’elle voulait devenir femme et imposer ses choix de vie…une vie avec lui, son homme brun et élancé, aux traits durs mais au cœur fin, la démarche fière et sereine, ne regardant qu'elle, cette belle sirène, aux lèvres maquillées de rouge. »
Ils ont franchi le pas de l’engagement : « je te veux » crié haut et fort, devant nous, l'assemblée, avec les familles, les amis, les curieux. Ils ont enfin officialisé leur union pour la vie. Elle sort, ma belle sirène, de la salle de mariage et jette son bouquet. C’est un homme aux cheveux blancs qui l’attrape et me barre la route, car au fond d’elle, elle me l’a destiné ce bouquet. Elle m’a dit avec sa voix si douce : « j’ai vraiment fait mon possible pour qu’il te soit destiné.. ». Je souris et me dis :" ah, ma belle sirène, si tu savais, que le mariage pour moi, n’est qu’une parade et je ne saurai être actrice, je me contenterai d’être spectatrice, je laisserai le destin décider pour moi."
Les regards étaient rivés sur eux, ce couple symbolisant une union des temps modernes : des générations issues de culture différente, mais qui passées par l'école de la République finissent par se ressembler. Première, deuxième génération issue de l'immigration, ces termes prennent place dans le débat public et nous sommes face à notre propre histoire. Nous sommes Français d’origine algérienne, marocaine, italienne, portugaise, polonaise etc
L’identité des parents rattrape celle des enfants, dans un espace laïcisé par un travail d’histoire, d’engagement politique et social. Cette même identité transmise d’une manière consciente ou inconsciente réapparaît, interpelle et donne à réfléchir. Nous sommes en progression constante en tant qu'entité attachée à un espace, celui de la société. Cette dernière est toujours en mutation, et nos référents se modifient, se complètent, et s'influencent peut être. Les racines sont présentes à travers le regard d'une maman arabe ou musulmane attachée à son foulard blanc comme une pureté de l'âme, tout en clamant "Allah, te bénisse mon fils et te protège"...Ainsi cette notion culturelle est transmise d'une manière anodine, peut être non voulue mais se présente dès lors comme un fait accompli. La figure du père protecteur, nostalgique de sa jeunesse sans comprendre vraiment celle d'aujourd'hui traduit à son tour ce lien si présent, si fort, si inconditionnel qu'on ne peut transcrire sur papier, car il dépasse notre sens raisonnable et notre regard pragmatique à l'occidental. La complexité de la construction des liens qui unissent des enfants issus de parents immigrés traduit un schéma de pensée qui n'est pas forcément contradictoire à cette notion de jouissance de la citoyenneté française mais apparaît comme un surplus à celle ci. Au contact du regard du Français 'moyen,' cela ressemble peut-être une non assimilation aux valeurs françaises, ou peut-être à un détachement senti et voulu pour marquer sa différence car encore une fois, peut-être s'agit-il d'un malaise? s'agit-il d'un rejet de cette identité non appropriée dans sa perception par rapport aux Français "moyen"?
Le jeune couple aborde la vie avec une simplicité et une naïveté sans précédent. Qu'en est-il des aînés? Ces derniers acceptent que leurs fille et fils se choisissent mutuellement, nous sommes dans les temps modernes et surtout en République française, garante des libertés individuelles. Nous avons le droit d’aimer, d’espérer, de se choisir, de se fréquenter, et même de vivre ensemble avant le mariage, symbole sacré pour certains, prétextes pour d'autres.
Les familles se croisent à la fête de mariage de leurs enfants, chacun avec ses différences. Les incompréhensions mutuelles ont fait que je n'ai pu résisté à l'envie d’agir, de parler, et de jouer à la médiatrice. J’étais actrice dans ce schéma de pensée. J’étais interpellée, concernée. L'organisation de la fête plus que le couple est devenue prétexte de discorde tant différait de part et d'autre les représentations sur ce moment. Je n’étais guère en train de lire un livre, j’étais en train de vivre une situation de confusion, de non communication, malgré les bonnes intentions réciproques. Une culture française avec toutes ses traditions se heurtait à une autre, arabe, algérienne et musulmane.
Ma belle sirène devait respecter les traditions de la famille de son mari, par amour pour ce dernier mais en prenant en même temps une certaine distance, ayant épousé son mari et non pas sa famille. Cela dit, ce dernier est attaché à des traditions familiales beaucoup plus codifiées et à des pressions plus lourdes que celles pouvant exister du côté français. Les traditions du mariage arabe et plus particulièrement algérienne, révèle une domination de la famille du mari sur celle de la famille de la mariée. Car cette dernière quitte le foyer parental pour accéder à l'espace de la famille du mari. Elle quitte son habit de jeune fille et porte les habits offerts par le mari, symbole d'union. La mariée est considérée comme une princesse d'un soir aux yeux des invités. Le spectacle doit répondre aux normes exigées par la famille du mari. La famille présente la femme que leurs fils a choisi. Elle doit être belle, la plus belle avec un habillement propre à leurs traditions. Mais attention, cet habillement peut paraître un déguisement pour les étrangers à cette culture. La notion de la beauté est remise en cause, la notion de l'art de vivre est également remise en cause...Des différences de perception de la vie réapparaissent et marque avec un trait rouge la déchirure que suppose la différence de l'autre, de l'étranger!
Les aînés ne se comprennent pas. Ils n'ont jamais essayé de se connaître. Ils se critiquent mutuellement, se guettent avec méfiance. Ils oublient que ce qui les a réunit à cette fête est l'union de leurs propres enfants. Ils ignorent les risques de fracture que peuvent entraîner leurs réactions. Pourquoi tant d’incompréhension ? Pourquoi tant d’impartialité dans la perception de l’autre ? De celui, qui est différent, et ce tant d'un côté que de l'autre ?
Le regard français sur une culture arabe qui soulève beaucoup de méfiance souligne le côté envahissant des femmes, de leurs cris de joie, y voyant une forme d'agressivité tant dans les couleurs, que dans la musique; Les gestes et les danses de ces femmes rondes soulignent un côté très coquin des femmes arabes, ceux de leurs filles, identiques montrent l'importance de la transmission des traditions. Ma Sirène a mis son voile de sari à l'entrée de la grande salle réservée pour l'occasion, elle a fait quelques pas à côté de son mari sous un ruban rouge au son des youyous, elle a pris une datte et du lait.
Ma sirène a eu droit également à une séance du henné, deux grandes bougies suspendu à sa gauche et à sa droite, allumées pour illuminer sa vie future auprès de son mari. Le henné symbolise l'affection, souhaitée pour sa vie future.
Ses traditions faites pour marquer le rang social de la famille demeurent bien incompréhensibles pour la famille française, se sentant exclue de la fête, spectatrice en colère.
La détresse de ma belle sirène se lisait aux traits de son visage. Inquiète et prise d’incompréhension par ce qui l’entourait, elle, si minutieuse, observatrice, prévenante et délicate, se trouvait alors impuissante devant un spectacle qui la dépassait : "comment dois-je agir ? Que dois-je faire devant des murs qui se dressent devant moi ? " La réalité revient vite au galop, et ma belle sirène prend conscience et le réveil est si dur. La différence de l’autre reste encore un sujet complexe, voire tabou.
Ce mauvais scénario du mariage me rappelle la réaction, unique et généreuse, d’un jeune homme, avec qui les affinités se dessinaient malgré nos différences culturelles flagrantes. Nous avons abordé, il y a quelque temps, le sujet des mariages algériens et ses traditions. « Je trouve l’organisation exceptionnelle, et la mariée change de robe toute la soirée. C’est beau. On ne se marie qu’une fois dans sa vie, et on doit s'en souvenir. Rien à voir avec les mariages français, qui sont très classiques. » me dit-il, très convaincu. Etonnée comme jamais par ce témoignage venant d’un Français, je suis perplexe et reste sur mes propres positions, préférant un mariage classique. Entre nous, je me suis souvent demandée, qui était d’entre nous l’arabe, si c’était moi, ou enfin de compte lui. Le traiter d’arabe ne le dérangeait guère et j’avais surtout l’impression, que cette interpellation le ravirait. Peut-être que l’idée de la différence s’évanouit devant un tel comportement, et puis les distances entre les différences s’effacent par nos propres réactions et choix de vie. Un petit clin d’œil à celui qui se reconnaîtra dans l’autre, celui qui est différent.
Enfin, moi, qui suis arabe musulmane algérienne et française, je vous dis à vous les mariés Mazeltov!
Nina BENAMAR